Financement ERC!
Comment tout a commencé…
En 2022, j’ai soumis un projet ERC Starting Grant, nommé « EvoGenArch », qui porte sur l’étude des effets des variants génétiques influençant les traits phénotypiques (plus de détails ci-dessous). Lors du premier tour, j’ai été invité à la deuxième étape du processus (présentation orale du projet), mais je n’ai malheureusement pas été retenu sur la liste principale ou complémentaire… Bah, ça arrive, non ? Le problème, c’est qu’en raison d’un changement de calendrier de l’ERC, j’ai dû soumettre à nouveau mon projet (à l’automne 2022), sans avoir accès au rapport du panel et des évaluateurs de mon premier essai… Donc, vraiment pas sûr que cette deuxième tentative serait meilleure. Mais… J’ai réussi à atteindre la liste complémentaire cette fois-ci ! L’ERC m’a prévenu (à l’automne 2023 donc) qu’ils pouvaient faire remonter des projets sur la liste jusqu’en décembre. Après ça, niet (normalement) !
Le temps, y compris le mois de décembre, a passé et j’étais donc relativement sûr de ne pas obtenir le financement (j’ai pas présenté de nouvelle demande, je voulais avoir le temps de consolider le dossier pour une Consolidator). Mais en début mars 2024 (c’est un long, hein ?), j’ai été très surpris de recevoir un courriel de la Commission Européenne intitulé « Start of grant preparation » indiquant que ma proposition « a atteint le stade de la préparation de la convention de financement ». J’ai d’abord pensé à une erreur technique, étant donné que je n’avais absolument pas été prévenu de l’obtention de la subvention, et qu’il était déjà bien trop tard selon le calendrier de l’ERC. Mais il s’est avéré que c’était vrai (j’ai finalement trouvé la lettre pertinente en fouillant dans leur plateforme en ligne), j’avais donc bien obtenu l’ERC !
De quoi ça parle : le problème de l’architecture génétique
Quand Darwin a publié De l’origine des espèces en 1859, il lui manquait une importante pièce du puzzle : une véritable théorie de l’hérédité (il avait bien une théorie appelée pangenèse, mais disons qu’elle n’a pas aussi bien pris que le reste de son travail…). Cela n’a pas empêché Darwin (pour de très bonnes raisons) de concevoir les modifications aléatoires lors de l’hérédité (ce que nous appelons aujourd’hui « mutations ») comme un processus plutôt graduel. Lorsque les lois de Mendel ont été redécouvertes vers 1900 et que la génétique est devenue la théorie de l’hérédité, l’idée que ces modifications aléatoires étaient en fait des « sauts » discrets d’importance moyenne à grande (d’où le terme « mutations » que nous utilisons toujours) a eu beaucoup de succès, étant plus conforme à cette théorie.
Mais réfléchissons un instant : comment peut-on concilier l’hérédité mendélienne, avec cette vision mutationniste (des modifications de plus ou moins grande importance, héritées via la ségrégation des allèles), avec un trait comme… la taille ? Au quotidien, on constate tous que la taille est plutôt héritée en quantité « graduelle » (un trait quantitatif, on appelle ça) plutôt que par paquets de « petits » ou « grands » types. Ce simple constat a en fait généré pas mal de frictions lors de l’adoption de la génétique, alors théorie naissante, voulant s’imposer comme mécanisme universel de l’hérédité. Ce soucis a finalement été résolu par un article célèbre de Fisher en 1918, démontrant que l’on peut modéliser les traits quantitatifs en supposant un très grand nombre de gènes, tous avec une hérédité mendélienne et participant à la variation génétique entre les individus.
Mais donc, les mutations sur ces traits quantitatifs, elles sont plutôt petites, correspondant au point de vue graduel de Darwin, ou au moins certaines d’entre elles sont-elles plutôt grandes, plutôt en accord avec le point de vue des premiers généticiens ? Aujourd’hui même, c’est encore très difficile de répondre à cette question ! À vrai dire, elle est toujours controversée : de nombreux arguments théoriques ont été avancés par Fisher, Kimura et Orr sur la question de savoir s’il faut s’attendre à des effets faibles, moyens ou à un mélange d’effets faibles et importants dans les mutations affectant les traits quantitatifs (on les appelle QTL, pour Quantitative Trait Loci). Mais ces modèles sont basés sur des scénarios très généraux, et dès qu’on modifie certaines hypothèses clés, les prédictions des modèles divergent. Du coup, les biologistes se battent encore férocement pour savoir si le « matériau de l’évolution » est constituée d’une belle poudre lisse ou de gros morceaux rocheux ! L’expression « architecture génétique » est utilisée pour désigner la manière dont les bases génétiques des traits quantitatifs sont structurées, et peut signifier beaucoup de choses différentes. Entre autres, ça désigne à quel point les effets des QTL sont petits ou grands, et c’est strictement comme ça qu’il faut comprendre « architecture génétique » dans ce projet (oui, je sais, il y a beaucoup plus que ça dans le concept complet d’architecture génétique, mais il faut bien commencer quelque part, non ?).
L’un des principaux problèmes du débat sur les petits/grands effets des QTL, c’est qu’il s’est principalement focalisé sur l’élaboration d’une théorie « fourre-tout » pour tous les traits quantitatifs. Or, si les modèles théoriques nous ont appris quelque chose, c’est bien que la question de savoir s’il faut s’attendre à des effets plus ou moins importants pour les QTL dépend largement du contexte évolutif dans lequel le trait lui-même a évolué. Mon projet ERC porte donc sur la question suivante : comment étudier correctement l’architecture génétique (variations des effets des QTL) des traits quantitatifs dans les populations sauvages, et relier cette variation observée à des paramètres évolutifs clés (type de sélection, histoire démographique, adaptation locale…) ?
Le projet EvoGenArch
Le problème comporte trois volets principaux (c’est là que ça devient plus technique…) :
- Développer une méthode axée sur l’inférence de la distribution des effets des QTL (« architecture génétique »). La plupart des méthodes existantes supposent que les QTL font partie des marqueurs génétiques (des variants génétiques dans le génome qu’on utilise comme les données de nos modèles statistiques) disponibles, ce qui est problématique pour plusieurs raisons (principalement, parce que les QTL peuvent correspondre à n’importe quel type de mutation, pas seulement celle utilisé comme « marqueurs génétiques »).
- Utiliser la méthode développée sur le lézard vivipare, après avoir séquencé de nombreux individus provenant (1) de notre population sauvage étudiée dans les Cévennes et (2) d’une expérience de « jardin commun » en cours (où des individus de différentes populations sont élevés dans un environnement commun). L’idée est de pouvoir relier l’architecture génétique de divers traits et la manière dont la sélection les affecte dans la nature, ainsi que les signaux d’adaptation locale qu’on pourra étudier à l’aide de notre jardin commun.
- Utiliser la méthode développé sur une variété d’espèces (plus de 20 espèces pour l’instant, mais il est prévu d’en augmenter le nombre) pour comparer l’architecture génétique de traits comparables entre espèces, tout en tenant compte d’informations sommaires concernant le contexte historique et évolutif de chaque espèce/population et la sélection agissant sur les traits étudiés.
L’idée est qu’à la fin du projet, on ait une meilleure compréhension de la variété des architectures génétiques auxquelles il faut s’attendre, notamment en fonction d’une connaissance, même superficielle, du contexte évolutif. C’est important et ça aura des conséquences sur l’ensemble de la biologie évolutive et de la génétique !
Recrutement à venir !
Gardez l’œil ouvert sur des propositions d’emploi à venir très prochainement (un post-doc et un ingénieur de recherche pour une embauche en septembre).